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Les grands entretiens du Revenu

Fabien Bouglé,

« Il faut une politique nucléaire européenne. C’est le gage de la paix en Europe »

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Par Jannick Alimi
Publié le 08/03/2024 à 07h00
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Le Revenu : Votre dernier ouvrage explique que l’invasion de l’Ukraine par la Russie et le sabotage des deux gazoducs Nord Stream ont déclenché une «troisième guerre mondiale», celle de l’énergie. En quoi ce conflit diffère-t-il du choc pétrolier de 1973?

Fabien Bouglé : Il est vrai que le choc pétrolier de 1973 était, lui aussi, lié à un conflit – la guerre du Kippour entre ­Israël et une grande partie du monde arabe –, et que, pour la première fois, le pétrole devenait une arme mondiale entre les mains des pays de l’OPEP qui n’ont pas hésité à réduire leur production et à augmenter leurs prix. Mais ce conflit était contingenté et sur le pétrole et sur le Moyen-Orient, même s’il a eu des conséquences économiques mondiales. Il a donc constitué les racines de la guerre mondiale de l’énergie que nous traversons actuellement.

Son parcours
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Fabien Bouglé,
Expert en politique énergétique
  • Juriste de formation, chef d’entreprise, Fabien Bouglé a été auditionné, en 2019, par la commission d’enquête parlementaire sur les énergies renouvelables de l’Assemblée nationale.
  • Il a publié Nucléaire – Les vérités cachées et Éoliennes aux Éditions du Rocher.
  • Son ouvrage, Guerre de l’énergie, est nominé au 37e prix Turgot du meilleur livre d’économie financière, qui sera remis le 19 mars.

L’Europe : du joug russe au joug américain

Quels sont les protagonistes de cette guerre mondiale de l’énergie ?

Fabien Bouglé : Face aux deux géants russe et américain, l’Europe qui reste très dépendante – à hauteur de 55% – pour ses ressources énergétiques, se transforme à nouveau en champ de bataille. Si Moscou a toujours été peu ou prou autonome dans ce domaine, les États-Unis ont acquis cette autonomie en quelques années. Depuis 2016 et l’exploitation massive du gaz de schiste sur son territoire, Washington n’a plus eu besoin d’importer pour assurer ses besoins énergétiques.

Mais l’Europe reste fragile et la dépendance de certains de ses membres comme l’Allemagne vis-à-vis de Moscou a fait de l’Ukraine un enjeu géopolitique mondial. Voilà pourquoi l’idée selon laquelle l’ombre des États-Unis serait derrière le sabotage des deux gazoducs russes n’est pas improbable. Pour contrer la vassalisation énergétique d’une partie de l’UE par la Russie, les Européens n’ont eu comme solution que de se tourner vers leur allié américain, qui grâce à son «gaz de la liberté», gaz de schiste et GNL, a pu apparaître comme le sauveur de l’Europe. Pour moi, l’Europe, en fait, est sortie du joug russe pour se retrouver sous le joug américain.

À part l’Ukraine, y a-t-il d’autres foyers énergétiques de tensions géostratégiques ?

Fabien Bouglé : Tous les évènements de tensions sont survenus ces derniers mois ont un sous-jacent énergétique. Si, en Arménie, les Européens ne sont pas intervenus pour défendre le Haut-Karabakh face à l’agression de l’Azerbaïdjan, c’est à la demande de Bakou, gros fournisseur de gaz de l’Europe. Le putsch de l’armée nigérienne – et l’hostilité de cette dernière à l’égard de l’Europe et surtout de la France – est d’autant plus inquiétant que le Niger est l’un des principaux producteurs d’uranium au monde, un minerai essentiel pour notre industrie nucléaire. Cela a poussé la France à chercher d’autres fournisseurs, en l’occurrence la Mongolie, avec qui elle vient de signer un accord d’approvisionnement. Au Moyen-Orient, l’énorme gisement de gaz découvert au large d’Israël et de Gaza intensifie encore ce conflit. Enfin, l’autonomie énergétique conquise par les États-Unis depuis 2016 rend l’Arabie saoudite et les émirats moins stratégiques pour Washington.

Ceci explique en partie la réconciliation entre les pays arabes et l’Iran sous la houlette de la Chine qui, elle, a besoin du gaz russe et du pétrole du Moyen-Orient, pays qu’elle a fait entrer, aux côtés notamment de la Russie, au sein des BRICS, ce nouveau «Sud global» qui veut faire contrepoids à l’Occident. On assiste aujourd’hui à une remise en cause de la «Pax Americana», à une reconfiguration totale des tensions internationales autour de l’énergie.

Quelles peuvent en être les conséquences pour l’économie européenne ?

Fabien Bouglé : Ces tensions – on le sait depuis 1973 et encore plus depuis la guerre en Ukraine –, entraînent une inflation des prix de l’énergie et, par conséquent, celle des prix industriels et des transports. Tous les secteurs pourraient être touchés, de la métallurgie aux boulangeries… Il pourrait même y avoir des pénuries de biens, des pannes informatiques, des réductions d’emplois, des retards dans les soins médicaux… La Troisième Guerre mondiale ne se traduit pas forcément par des bombardements ou des actes militaires, mais elle risque d’avoir des implications économiques et sociales directes sur l’ensemble des populations, dont l’Europe serait la première à en subir les conséquences.

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Auprès de la ­Commission européenne, les lobbys allemands sont beaucoup plus présents et influents que les français.

Existe-t-il aussi une guerre intra-européenne entre l’Allemagne et la France ?

Fabien Bouglé : Depuis le début des années 2000 sous le chancelier allemand Gerhard Schröder, puis sous Angela Merkel, l’Allemagne défend un modèle fondé sur l’énergie éolienne et les panneaux solaires couplés au gaz russe et désormais au charbon. La France, elle, depuis le plan Messmer post-choc de 1973, s’est bâtie sur le nucléaire et les barrages électriques. Ces deux stratégies s’opposent à Bruxelles, devenue le théâtre de la lutte entre l’Alliance du nucléaire, menée par la France, et l’Alliance des renouvelables, menée par l’Allemagne. L’Allemagne s’est battue pour que le nucléaire ne soit pas considéré comme une énergie décarbonée dans la taxinomie européenne. Mais la France a finalement remporté la partie. En 1957, la CEE, accompagnée de la CEEA (Communauté européenne de l’énergie atomique), ancêtres de l’UE, s’est bâtie sur le commerce et l’énergie atomique. Si les tensions entre l’Allemagne et la France perduraient, les racines créatrices de l’Europe risqueraient d’être coupées. Il est important qu’une politique nucléaire européenne se mette enfin en place. C’est le gage de la paix en Europe.

Tensions franco-allemandes autour du nucléaire

Y a-t-il également une «guerre des lobbys» entre Berlin et Paris ?

Fabien Bouglé : Effectivement, l’Allemagne a placé de nombreux lobbys en France. Elle finance des ONG antinucléaires, comme Greenpeace ou WWF. La fondation Heinrich Böll finance le très antinucléaire Réseau Action Climat. L’Allemagne s’est aussi installée au sein du ministère de la Transition écologique avec l’Ofate, l’office franco-allemand pour la transition écologique, lui aussi contre le nucléaire. Auprès de la ­Commission européenne, les lobbys allemands sont beaucoup plus présents et influents que les français. Et n’oublions pas que la secrétaire d’État chargée du climat au sein du ministère des Affaires étrangères allemand est l’ancienne cheffe de Greenpeace International.

Le nucléaire français est donc de plus en plus la cible de l’Allemagne ?

Fabien Bouglé : Absolument, car le nucléaire, outre son apport positif en matière de souveraineté énergétique et donc économique, a octroyé un avantage compétitif aux particuliers et surtout aux industries françaises en matière de prix. Si l’on excepte, bien sûr, l’obligation faite à EDF de vendre une partie de son énergie à des concurrents ou à des courtiers, et l’obligation faite à la France de s’adosser à un prix européen supérieur au prix de sa propre énergie nucléaire en raison du fonctionnement du marché européen de l’électricité.

Ne sous-estimez-vous pas le moteur idéologique et la soif de puissance de certains États, et notamment de la Russie, dans ce conflit mondial ?

Fabien Bouglé : C’est sous-jacent à l’ensemble de mon livre. Mais nul besoin, comme le fait Vladimir Poutine, d’occuper militairement un pays pour le dominer. Je pense que l’énergie est désormais une arme incroyable au service de l’idéologie et de la puissance. À travers le contrôle de ses sources ou de sa distribution, elle est devenue un outil de puissance géopolitique et politique majeur.

Propos recueillis par Jannick Alimi

304 pages, 18,90€, Éditions du Rocher.